Le tribunal de première instance de Bruxelles a attiré l’attention en 2022 en décidant d’annuler une sentence de la CNUDCI concernant une plainte déposée contre la République de Pologne en vertu du traité bilatéral d’investissement entre les États-Unis et la Pologne (« TBI États-Unis-Pologne »). C’était la première fois que nous voyions un tribunal belge annuler une sentence accordée dans le cadre d’un traité d’investissement. Le tribunal de première instance a tranché dans son arrêt du 18 février 2022 que le tribunal arbitraire avait violé l’ordre public international belge en estimant que la Pologne n’avait pas garanti un traitement juste et équitable (« TJE ») à un investisseur parce que la Cour suprême polonaise avait dénié justice par sa décision arbitraire et discriminatoire. Le 12 avril 2024la Cour de cassation belge a annulé cette décision.
Contexte factuel
En 2006, un investisseur américain, Manchester Securities Corp. (« MSC »), a acquis des obligations émises par un promoteur immobilier polonais pour financer des projets de construction résidentielle à Cracovie. Les obligations étaient garanties par des hypothèques. Le promoteur a également contracté d’autres prêts garantis auprès des banques publiques polonaises. Cependant, le promoteur immobilier n’a pas respecté ses obligations de remboursement et a fait faillite en 2009. Les problèmes ont commencé lorsque MSC a tenté de faire exécuter un jugement du tribunal régional de Cracovie ordonnant au promoteur de payer à MSC la dette impayée en faisant valoir ses hypothèques.
Finalement, en 2012, la Cour suprême polonaise a rejeté la validité de l’hypothèque de MSC, car elle est contraire au principe de « coexistence sociale » et parce que MSC – consciente des risques économiques du projet immobilier – s’est comportée de manière malhonnête et ne pouvait être autorisée bénéficier de ses droits hypothécaires.
En réponse, MSC a intenté une action en nullité de l’hypothèque sur une autre propriété détenue par une banque polonaise impliquée dans le projet immobilier. Bien que MSC se soit appuyée sur les mêmes arguments que ceux retenus dans la décision de la Cour suprême polonaise de 2012, la demande de MSC a été jugée irrecevable.
Alors que la Cour suprême polonaise a décidé en 2012 que l’exécution de l’hypothèque de MSC pour un appartement violait les principes de coexistence sociale, elle a décidé en 2014 que l’exécution de l’hypothèque par MSC pour un autre appartement ne violait pas ces principes.
En bref, les décisions de la Cour suprême polonaise sur la validité et l’exécution des hypothèques sur diverses propriétés du projet immobilier ont conduit à des conclusions très différentes.
En 2015, MSC a engagé une procédure d’arbitrage contre la Pologne dans le cadre du TBI États-Unis-Pologne. Le 7 décembre 2018, le tribunal arbitral a décidé que MSC s’était vu refuser justice par la Cour suprême polonaise et que la Pologne avait violé la clause FET et devait payer des dommages et intérêts d’environ 10 millions d’euros plus des intérêts. Le siège de l’arbitrage étant Bruxelles, la Pologne a introduit une procédure d’annulation devant le tribunal de première instance de Bruxelles en mars 2019.
Le tribunal de première instance de Bruxelles annule la sentence du traité d’investissement
Le tribunal de première instance s’est concentré sur l’argument de la Pologne selon lequel le tribunal arbitral aurait fait office de cour d’appel auprès de la Cour suprême polonaise, ce qui est contraire à l’ordre public international belge et qui, en vertu de l’article 1717, §3, b), ii) du Code judiciaire belgeconstitue un motif d’annulation d’une sentence.
Le tribunal de première instance a précisé qu’un juge d’annulation doit contrôler l’application par l’arbitre des lois d’ordre public (B. Hanotiau et O. Caprasse, « L’annulation des sentences arbitrales », JT, 2004, p. 419, § 41) et que l’interprétation restrictive des motifs d’annulation en vertu de la favoriser l’arbitrage Ce principe n’empêche pas le contrôle effectif de l’effet d’une sentence sur l’ordre public international. Ceci a conduit le tribunal de première instance à considérer qu’il pouvait vérifier si le tribunal arbitral pouvait raisonnablement considérer qu’il y avait eu un déni de justice de la part des tribunaux polonais.
Le tribunal de première instance a décidé que le tribunal arbitral avait fait office de cour d’appel auprès de la Cour suprême polonaise et que la sentence concluait à tort que la Cour suprême polonaise avait déni de justice en adoptant une attitude discriminatoire à l’égard de MSC. En particulier, le tribunal de première instance a noté que le tribunal arbitral (i) n’avait pas établi une défaillance structurelle du système judiciaire polonais ni un comportement frauduleux ou une mauvaise foi de la part de la Cour suprême polonaise, (ii) ne pouvait pas conclure à une discrimination de la part de la Cour suprême polonaise. système judiciaire, en l’absence d’un système de précédents contraignants et (iii) avait dépassé son appréciation marginale en examinant l’interprétation par la Cour suprême polonaise des principes de coexistence sociale. En conséquence, le tribunal de première instance a estimé que la sentence arbitrale violait l’ordre public international belge et a annulé la sentence.
La Cour de cassation belge annule la décision du tribunal de première instance de Bruxelles
MSC a contesté la décision d’annulation de la sentence devant la Cour de cassation belge, qui a statué le 12 avril 2024. d’annuler la décision du 18 février 2022 du tribunal de première instance de Bruxelles.
La Cour de cassation s’est concentrée sur l’argumentation de MSC sur le critère à appliquer par le juge d’annulation en vertu de l’article 1717, §3 (b)(ii) du Code judiciaire belge. La Cour suprême a précisé qu’un juge peut annuler une sentence arbitrale si elle est contraire à l’ordre public (international). Toutefois, cela n’implique pas que le juge de l’annulation puisse réexaminer le fond du litige («le litige») au regard des règles d’ordre public appliquées par le tribunal arbitral. Le juge d’annulation est (uniquement) autorisé à vérifier si la sentence («la phrase») est elle-même en contradiction avec l’ordre public. En conséquence, la Cour suprême a annulé la décision annulée du tribunal de première instance de Bruxelles et a renvoyé l’affaire devant un autre tribunal de première instance afin qu’elle soit rejugée.
La clarification par la Cour suprême de la possibilité pour le tribunal de première instance d’annuler une sentence arbitraire contraire à l’ordre public n’est pas nouvelle. La Cour de cassation belge se contente de réitérer les orientations données dans son arrêt du 28 novembre 2014 (Cass., 28 novembre 2014, C.12.0517.N, §6). Il convient de noter que le tribunal de première instance de Bruxelles s’est référé à l’arrêt du 28 novembre 2014 pour établir que, même si la Cour suprême n’a pas imposé expressément une approche minimaliste et un contrôle marginal, elle invite le juge écarté à la prudence dans son contrôle. à la lumière du principe de favoriser l’arbitrage.
Bien que le tribunal de première instance de Bruxelles ait reconnu les orientations de la Cour suprême, les commentateurs On s’est demandé si le tribunal avait correctement appliqué ces orientations et n’avait pas outrepassé les limites de sa compétence en évaluant si la décision de la Cour suprême polonaise constituait un déni de justice.
Dans son arrêt du 12 avril 2024, la Cour de cassation belge vient de conclure que le tribunal de première instance de Bruxelles n’a effectivement pas correctement appliqué l’article 1717, §3 (b)(ii) du Code judiciaire belge, car il n’a pas examiné les effets de la sentence arbitraire sur l’ordre public lorsqu’elle a décidé que :
« le tribunal arbitral ne pouvait raisonnablement considérer que, dans son arrêt Wierzbowa, la Cour suprême [of Poland] avait manifestement adopté une attitude discriminatoire à l’égard [the claimant]rendant la Pologne responsable d’un déni de justice commis par sa plus haute juridiction ».
Même si certains commentateurs (notamment les avocats de la Pologne) ont averti que la Cour suprême belge a introduit un nouveau test d’ordre public qui risque de causer des difficultés dans le droit belge de l’arbitrage, la référence de la Cour suprême belge à les effets de la sentence arbitrale sur l’ordre public semble conforme aux orientations antérieures sur la limitation du contrôle par le juge annulé de la conformité à l’ordre public de la sentence elle-même, plutôt que de la (ré)évaluation du fond du litige tranché à la recherche d’une récompense.
Il avait été précédemment observé que les règles internationales de procédure régulière et d’ordre public concernaient les garanties procédurales et les recours contre les procédures inéquitables, mais dans cette affaire le tribunal de première instance de Bruxelles avait inversé ce principe en estimant que la sentence violait l’ordre public international belge parce que le tribunal arbitral avait considéré à tort que Procédure polonaise étaient injustes. Le tribunal de première instance de Bruxelles, dans la procédure d’annulation, n’a en effet pas examiné si le tribunal arbitral avait manqué à garantir une procédure régulière, mais il a plutôt examiné si le tribunal arbitral avait correctement vérifié si les tribunaux polonais avaient garanti une procédure régulière.
Cette question est désormais confirmée en droit belge : le juge en annulation doit, lorsqu’il vérifie si les règles de procédure et d’ordre public ont été violées, considérer la sentence, et non d’autres procédures qui ont donné lieu à des demandes qui sont accueillies dans une sentence. .
Le tribunal de première instance de Liège a été chargé de statuer sur la demande d’annulation de la sentence du traité d’investissement, conformément à l’arrêt de la Cour suprême belge.
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