Faits de l’affaire
La partie qui demandait l’annulation de la sentence arbitrale était une société en commandite (Société en commandite) en vertu du droit autrichien (le « requérant »). Le contrat de partenariat du requérant contenait une convention d’arbitrage prévoyant un arbitrage ad hoc en vertu du droit autrichien de l’arbitrage et spécifiait que les contestations des résolutions des actionnaires devaient suivre les règles relatives aux sociétés à responsabilité limitée (et non aux sociétés de personnes). Il convient de noter que ces règles s’écartent du droit autrichien des sociétés de personnes en prévoyant que les contestations judiciaires des résolutions des actionnaires doivent être dirigées uniquement contre la société elle-même plutôt que contre tous les actionnaires individuels.
Conformément à ce régime juridique, en octobre 2020, après une résolution litigieuse des actionnaires, plusieurs actionnaires de la requérante, mais pas tous, ont engagé une procédure d’arbitrage contre la requérante, cherchant à invalider la résolution. Le tribunal arbitral, nommé par les actionnaires concernés et la requérante, a rendu une sentence, rendant la résolution nulle et non avenue.
Le demandeur a demandé à l’ASC, la première et dernière instance en la matière en Autriche, d’annuler la sentence, arguant que l’objet de la procédure n’était pas arbitrable. Le demandeur a soutenu que l’effet contraignant de la sentence était limité aux parties impliquées dans l’arbitrage, à l’exclusion des autres actionnaires qui n’avaient pas participé correctement. Cette exclusion, a fait valoir le demandeur, a entraîné une fragmentation illégale de la relation juridique de la société, invalidant l’ensemble de la sentence. Dans sa décision du 3 avril 2024, l’ASC a souscrit au raisonnement du demandeur et a annulé la sentence arbitrale, soulignant la nécessité de garantir des effets contraignants complets dans les litiges entre actionnaires afin de maintenir la cohérence juridique au sein de l’entité.
Le raisonnement de l’ASC
L’ASC a expliqué que l’arbitrabilité objective d’un litige dépend de la mesure dans laquelle l’État cède sa compétence exclusive à des mécanismes privés de résolution des litiges et reconnaît les décisions arbitraires. Dans ce cas, l’arbitrabilité a été évaluée au regard de l’ancienne loi autrichienne sur l’arbitrage (antérieure à 2006)qui exigeait que la réclamation soit susceptible d’être réglée. En principe, l’ASC a affirmé que les litiges relatifs aux contestations des résolutions des actionnaires sont généralement arbitrables dans des conditions spécifiques : tous les actionnaires doivent être parties à la convention d’arbitrage, généralement par inclusion dans les statuts ou l’accord de partenariat, et la sentence arbitrale doit lier tous les actionnaires.
L’ASC souligne que la nécessité d’un effet contraignant pour tous les actionnaires exige que la convention d’arbitrage confère certains droits de participation à chacun d’entre eux. Cette exigence est ancrée dans les principes d’un procès équitable en vertu de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’hommeapplicable à la fois aux procédures d’arbitrage et aux procédures judiciaires étatiques. L’ASC a souligné la nécessité pour les actionnaires d’être (et d’avoir la possibilité d’être) impliqués de manière adéquate dans le processus d’arbitrage dès le début afin de protéger leurs droits et leurs intérêts. Plus précisément, tous les actionnaires doivent avoir la possibilité de participer à la sélection des arbitres et à la constitution du tribunal arbitral. Ces droits de participation ne peuvent pas être laissés à la discrétion procédurale générale du tribunal arbitral mais doivent être expressément inscrits dans la convention d’arbitrage. Le respect de ces exigences minimales est essentiel pour parvenir à une solution globale chose jugée effet de la sentence arbitrale, contraignant même pour les actionnaires qui ne participent pas à la procédure, garantissant ainsi l’arbitrabilité du litige.
Dans le cas présent, la Cour suprême a estimé que la convention d’arbitrage ne répondait pas à ces exigences essentielles et que, par conséquent, l’objet de la sentence arbitrale manquait d’arbitrabilité objective.
Principaux points à retenir pour la pratique de l’arbitrage ?
La décision de l’ASC est remarquable pour un certain nombre de raisons et a des implications de grande portée pour la pratique de l’arbitrage.
En premier lieu, la question de savoir si la contestation d’une résolution d’actionnaire est arbitrable en droit autrichien dépendra désormais principalement des spécificités de la convention d’arbitrage. Elle doit accorder à tous les actionnaires certains droits de participation et d’implication dans la procédure d’arbitrage dès le début. En particulier, elle doit garantir qu’ils sont informés du début et du déroulement de l’arbitrage, tout en leur permettant de se joindre à la procédure s’ils le souhaitent. Plus important encore, la convention d’arbitrage doit permettre aux actionnaires de participer à la sélection et à la nomination des arbitres. Le non-respect de ces critères constitue un défaut grave affectant la convention d’arbitrage qui ne peut être corrigé au cours du processus d’arbitrage lui-même (même si ce processus garantit effectivement la participation de tous les actionnaires). En d’autres termes, quelle que soit la qualité de la procédure menée, si la convention d’arbitrage ne présente pas les caractéristiques requises, toute sentence qui en résulte reste susceptible d’être annulée ou refusée à l’exécution par les tribunaux autrichiens.
Deuxièmement, le lien entre l’arbitrabilité d’une réclamation et les termes de la convention d’arbitrage fait de l’arbitrabilité une variable qui dépend en grande partie de la rédaction minutieuse de la convention par les parties (et leurs conseillers juridiques). En particulier pour l’arbitrage ad hoc, la rédaction méticuleuse de la convention d’arbitrage est primordiale. Si les parties préfèrent l’arbitrage institutionnel, le choix des règles d’arbitrage devient crucial. Dans certains cas (extrêmes), le choix des règles peut avoir une importance allant jusqu’à ce qu’une réclamation soit arbitrable en Autriche en vertu d’un ensemble de règles mais pas en vertu d’un autre. Par exemple, le Centre d’arbitrage suisse et l’Institut allemand d’arbitrage proposer des modèles de clauses d’arbitrage et des règles particulières pour les litiges entre actionnaires susceptibles de répondre aux exigences de l’ASC. À l’inverse, le Centre arbitral international de Vienne ne propose actuellement pas de dispositions comparables dans son règlementjetant un sérieux doute sur le fait qu’ils suffiraient à eux seuls.
Troisièmement, les normes établies par l’ASC ne se limitent pas au contexte national autrichien. Elles s’étendent plutôt à des situations internationales. En effet, quel que soit le siège social de la société ou la nationalité des parties impliquées, ces normes peuvent même s’appliquer lorsque l’arbitrage a lieu en Autriche. En outre, étant donné que l’arbitrabilité objective est un motif de refus en vertu de l’article V.2.a de la Convention de 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (la « Convention de New York »), de telles normes seront certainement pertinentes dans les cas où la sentence arbitraire doit être reconnue et exécutée en Autriche.
Enfin, il n’est pas encore clair quel effet la décision aura sur les autres personnes morales. Il est certainement recommandé aux sociétés telles que les sociétés à responsabilité limitée autrichiennes (GmbH), les sociétés flexibles (FlexCo) et les sociétés anonymes (AG) de respecter les exigences susmentionnées de l’ASC pour une convention d’arbitrage. D’un autre côté, on peut se demander s’il est nécessaire d’extrapoler ces exigences à des personnes morales qui ont généralement une structure actionnariale différente ou qui sont structurées de manière totalement différente, comme les fondations privées autrichiennes. Si ces principes devaient s’appliquer à ces dernières (une question à laquelle la jurisprudence n’a pas encore répondu), un facteur qui rendrait une telle application particulièrement difficile serait le statut souvent flou du bénéficiaire d’une fondation. Ces personnes, qui peuvent être considérées comme l’équivalent le plus proche des actionnaires d’une société classique, ne sont souvent pas nommées dans l’acte de fondation et sont nommées par le conseil de fondation à sa discrétion, ce qui fait que les litiges sur le statut du bénéficiaire sont un problème courant. L’incertitude quant au champ d’application de la norme décrite ci-dessus souligne la nécessité de clarifier davantage et d’éventuelles orientations législatives ou judiciaires pour la pratique juridique.